• Un rituel chez les Talaandig

    Je vous avais laissé il y a 3 semaines avec une promesse que je n'ai toujours pas tenue: celle de raconter le rituel de reconciliation! C'était épique! Mais d'abord:

    Le contexte:

    *Disclaimer: L'histoire Philippine est confuse, pleine de theories contradictoires rédigées par les différents vainqueurs. En plus je travaille plutot avec des révolutionnaires. J'ai essayé de faire un résumé simple et objectif, mais je suis consciente de n'y être pas tout a fait. Bref ne me citez pas sur le sujet*

    Sur l'île de Mindanao, les conflits de territoire sont nombreux. Je vous avais deja parle de ceux impliquant les musulmans, voila l'occasion de donner quelques infos sur les conflits de territoire avec les tribus indigenes.

    Les Philippins se repartissent entre "groupes ethniques" et "tribus indigènes". J'ai pas vraiment compris la difference profonde, mais il semble que les 'groupes ethniques" sont plus nombreux et ont adopté en partie la culture des envahisseurs successifs. Ils se reconnaissent à leur langue et leur zone d'installation: les Tagalogs à Luzon (autour de Manille), les Bisaya plus au sud... Les "tribus indigènes" sont moins étendues et tentent plutôt de préserver leur culture d'origine. Ils vivent typiquement dans les hauts plateaux.

    Ils faisaient tranquillement leur vie sur leurs terres ancestrales quand des fonctionnaires americanisés à Manille ont inventé les titres de propriété et les ont distribués largement à tous les volontaires: l'idée était de donner des terres aux gens "civilisés" pour qu'ils aillent raffiner les sauvages de Mindanao. Bien evidemment ca s'est pas toujours bien passé, et Mindanao en subit encore les consequences. On parle maintenant des 3 peuples de Mindanao: les Lumad (ensemble des tribus indigènes); les Moros (peuple musulman) et les Migrants.

    Retournons au cas des Talaandig. Voila les morceaux que j'ai pu rassembler d'une histoire qui est racontée un peu différemment a chaque fois, j'espère lui faire honneur.

    Il y a plus de 100 ans, une université est venue s'installer sur leurs terres. Elle a coupé leurs arbres, puisé dans leurs sources etc. La tribu s'est défendue comme elle pouvait, et chaque generation voyait arriver un héros qui bombait l'universite ou tirait sur l'un ou l'autre professeur. Le conflit a fait 35 morts: 10 chez les migrants et 25 chez les Talaandig. Chaque partie considère que l'autre est responsable des morts. Il y a 3 mois, des chercheurs sont partis dans la forêt faire une recherche sur les plantes sacrées des Talaandig. Les chercheurs avaient demandé toutes les autorisations officielles (au gouverneur de la province, au conseil d'administration de l'universite...) mais avaient zappé le Datu, le chef de tribu, qui n'a pas de reconnaissance officielle. Les Talaandig, furieux de voir leurs terres envahies et leurs traditions publiées, avaient arrêté les chercheurs et le conflit est reparti de plus belle.

    Mais a ce moment la, il y avait au conseil d'administration un pasteur qui faisait partie de l'equipe PeaceBuilders a Valencia, et il a suggéré d'aller discuter avec les Talaandig plutot que de sonner les trompettes. En parallèle, PeaceBuilders avait déjè de bons contacts avec les Talaandig puisqu'ils font partie des premiers cultivateurs de café à avoir été formés. Ainsi a commencé la demarche de mediation entre l'Universite et les Talaandig.

    C'est intéressant de noter que nous avons l'habitude de resoudre le probleme a l'origine du conflit avant de décider de patcher la relation. Les Talaandig fonctionnent a l'inverse: ils font une demarche de reconciliation d'abord, puis construisent sur la confiance pour resoudre les problèmes.

    Donc la démarche de médiation a entrainé une decision de reconciliation, et comme les tribus indigènes aiment les rituels, ils ont organisé un rituel de reconciliation.

    Un rituel chez les Talaandig

    Datu Vic signe l'accord de paix

    Le rituel

    Les conditions de la réconciliation était que l'université donnerait pour prouver sa bonne foi un couple de buffles et de vaches aux Talaandig, et fourniraient le cochon et les poulets du sacrifice.

    Nous avons rendez vous à 6h du matin pour le début du rituel. Le cochon est déja la, il mange un balai dans une camionnette, parfaitement ignorant du sort qui l'attend. Quand vers 9h un groupe de gars le ligote et le couche à terre, il doit commencer a se douter de quelque chose parce qu'il couine à fendre l'âme. Par-dessus les cris, Datu Vic (le responsable religieux de la communauté) parle et explique ce qu'il va se passer.

    Bai Lisa, sa femme, coupe des petits morceaux de gingembre qui sont distribués au public. Nous les machouillons et les lançons sur le cochonnet: ce sont les sentiments negatifs dont nous nous debarassons. Puis Datu Vic prie, la main en direction du porc, pendant que toute l'assemblée s'organise en un filet de mains sur des épaules. Apres la prière, Datu Vic tue le cochon d'un coup d'épée dans le coeur (la pauvre bête n'a aucune chance de s'en sortir).

    Nous sommes tous invités a venir toucher le sang du doigt: c'est la dernière fois que nous aurons du sang sur les mains, et donner un coup de pied au cochon mort: la dernière expression de colère.

    Un rituel chez les Talaandig

    Pres Sullivan (la présidente de l'université) et Datu Saway (le responsable politique des Talaandig) fêtent la réconciliation

    Pendant que le cochon - et les poulets qui sont morts en meme temps - cuisent, nous nous installons dans le "Hall of Peace" pour une longue attente. J'en profite pour piquer un somme par terre parce que (j'ai du bol) c'est tout a fait socialement acceptable de dormir pendant que le Datu parle. Vers midi, les femmes arrivent avec la viande sur une assiette. Tout le monde se regroupe autour de la table du Datu et prend un morceau de viande avec les doigts, c'est la fin de la cérémonie.

    Nous nous asseyons ensuite aux tables pour un banquet en bonne et due forme. Apres le repas, des joueurs de tambour montent sur scene et les Talaandig dansent dans la salle. Leur danse traditionnelle est celle du faucon: on sautille legerement tout en mimant des bras un oiseau qui vole. Je suis invitée a danser, puis a jouer du tambour sur scène: les Philippines m'entraînent décidément dans des situations inhabituelles!

    la danse du faucon


  • Commentaires

    1
    Amande
    Mardi 17 Juin 2014 à 11:27

    Ah ! Je reconnais sur la photo tes techniques de danse du ventre : les belles mains !! :)

    2
    Mardi 17 Juin 2014 à 11:45

    Hahaha tu m'as grillee! Trop marrant que tu te souviennes des belles mains!

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    3
    Elisabeth
    Mardi 17 Juin 2014 à 17:15

    quelle aventure ! merci pour le récit

    4
    Al
    Jeudi 19 Juin 2014 à 16:57

    Hahaha Salomé, il est à voile et à vapeur ton faucon :D

    5
    Vendredi 20 Juin 2014 à 03:56

    Tu veux dire qu'il est a la fois puissant et gracieux? Merci du compliment!oops

    6
    Al
    Dimanche 22 Juin 2014 à 21:32

    OU précieux et maniéré :)

    7
    Greg
    Mardi 24 Juin 2014 à 19:03

    Sacrifions le cochon de la discorde !

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