• L'utang na loob, c'est le fil du tissu social aux Philippines. Littéralement ça veut dire "la dette du dedans", c'est l'obligation qu'on a envers quelqu'un qui nous a rendu service. Il y a un proverbe qui dit "Choisis une faveur plutôt qu'un paiement": un paiement clôt la relation, alors qu'une faveur lance le début d'une danse "dette-remboursement" qui durera pour toujours!

    La pratique, quand on a "utang na loob" avec quelqu'un, c'est de rendre un service légèrement plus important que celui qu'on a reçu; le double avantage c'est qu'on est sûr d'avoir repayé sa dette et que c'est maintenant l'autre qui se sent redevable. C'est utang na loob qui valide les liens d'amitié et les obligations familiales. C'est une impression très forte et qui influence énormément les actions des uns et des autres, jusqu'à la politique. Entre ça et la corruption pure et dure on peut imaginer que la démocratie peine à se faire une place!

    Dans les premiers mois j'étais juste l'étrangère, mais je sens que je commence à me faire une place dans le réseau d'utang na loob, et que c'est ça qui m'ancre dans le pays. Ce sont des petits riens (Cathy de Coffee for Peace m'accompagne dans un magasin de pâtisserie, et je lui donne une partie des cookies que j'ai fait; mon collègue Tyron m'apprend à télécharger et je lui montre des astuces dans Word) ou des plus grands (Dawn a refusé d'être payée pour les cours de tagalog et j'attends l'occasion d'honorer ma "dette du dedans"). A chaque échange j'ai l'impression d'être plus perçue comme appartenant au groupe et moins comme une étrangère...


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  • Campayapaan: Les adolescents les plus motivés du monde

     

    Je suis rentrée samedi soir de Campayapaan! J’aurais de quoi raconter pour plusieurs posts… Mais je pars demain matin tôt à Leyte (hé oui j’y retourne) et entre le retour d'un camp intense et le départ imminent pour 3 semaines d'une toute autre mission, ça se bouscule un peu dans ma tête. Bon je vais essayer quand même parce que ça en vaut vraiment la peine.

     

    Campayapaan: Les adolescents les plus motivés du monde

     

    Pour ceux qui ont manqué le début, Campayapaan c’est le camp pour la paix qu’on préparait à PeaceBuilders depuis des mois. Il a eu lieu la semaine dernière, dans une école à la montagne ouverte pour les enfants de la tribu Bla’an, au large de Koronadal, South Cotabato.

    Ce qui m’a le plus frappé pendant ce camp, et de loin, ce sont les jeunes (pas littéralement, je vous rassure). Je ne savais pas que ça pouvait exister des adolescents aussi motivés!

    Par exemple :

    1)      * Le premier jour du camp, nous avions fixé un début des activités à 10h le matin. Je trouvais ça un peu optimiste, il faut dire que certains des jeunes inscrits vivent à 9km à pieds de l’école… mais bon, pourquoi pas. Hé ben, quand on est arrivés sur le terrain (un peu dans les vapes) à 6h du matin, devinez qui nettoyait l’école en nous attendant ? A 7h ils étaient tous là, à nous regarder en attendant qu’on commence.

    2)      * Le premier jour toujours, on les répartit en 3 groupes et on leur parle de la fête qu’on fera vendredi soir pour la dernière veillée. On leur demande de préparer, chaque groupe, une danse, un chant, et autre chose. Premières questions: « On a le droit de faire plus qu’un chant ? », « Je peux faire une danse en solo aussi? » Le reste de la semaine, a la moindre pause dans le programme : « Allez on va tous répéter! »

    3)      * Sur les 20 jeunes et les 7 jours de camp, pas une seule fois nous n’avons dû reprendre un jeune. Se lever à l’aube, ranger la salle, allez à la douche, au lit, faire la vaisselle, balayer le camp… C’était fait avant même qu’on en voie la nécessité. De ma vie j’avais jamais vu ça.

    Pétard même quand je me relis j’ai du mal à y croire ! Des mômes adorables, avec ça, tout contents de jouer, travailler, chanter, danser, discuter… Moi qui étais tellement sûre que l’adolescence ça voulait dire « être d’humeur changeante et traîner les pieds » dans tous les pays, voilà mes idées toutes chamboulées…

    En plus de ça, j'avais mon petit fan club. Un groupe de filles qui au début me suivait juste de loin en rigolant et en se donnant des coups de coude "Va lui parler! - Non, toi!". Et quand enfin elles ont osé, c'était "Il est tellement beau ton nez!", "J'aime beaucoup tes yeux!" (Ai-je déjà dit que vivre aux Philippines c'était un ego boost incroyable?) Elles étaient mignonnes comme tout et le contact était vraiment sympa, entre hésitations en anglais et en tagalog.

    Je m'arrête là pour aujourd'hui parce que je tombe de fatigue, mais j'ai bien l'intention de raconter plus! A suivre...


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  • Je vous ai parlé des jeunes mais je peux pas passer à côté du contenu du camp! 

    L'idée c'était de faire "un camp pour la paix" qui soit pertinent dans le contexte des jeunes Blaan. Comme les autres tribus, les Blaan vivent à l'écart des villes, très souvent dans la pauvreté. Ils sont considérés comme inférieurs ou négligeables par les citadins Tagalog et Visaya (qui semblent oublier qu'ils sont eux aussi des tribus). C'est aussi dans les montagnes que sévissent les groupes rebelles, qui recrutent en priorité des jeunes des populations indigènes. En général, ils sont pauvres, avec un faible niveau d'instruction, un avenir pas très rose, et c'est facile de les convaincre que prendre les armes changera ça.

    L'ecole de Pula

    Dans les faits, comme Dawn était déjà en lien avec l'école de Pula (ci-dessus) (un lien qui est resté de ses années étudiantes), on a décidé de travailler avec eux. J'ai appris peu avant le camp que les rebelles avaient quasiment quitté cette région, et les jeunes de l'école sont plus éduqués que la moyenne des Blaan, qui n'ont pas tous la chance d'une école aussi proche - 9km, une paille! Donc plutôt un contexte de post-conflit, mais ça marche aussi.

    On avait donc décidé d'approcher le camp de deux côtés: un côté "valorisation culturelle", dont le sous-titre aurait pu être "Aidez nous à montrer au monde la richesse de la culture Blaan", et un côté "Résolution des conflits 101" (ou "Il y a mieux à faire que rejoindre les rebelles")

    Campayapaan: le contenu

    L'equipe Campayapaan: de gauche a droite Chi, Nenia, Byron, Denise, Dawn, Salome et Bambam

    On a organisé le camp à 3 mains: PeaceBuilders, Artickles et SwitoTwins. PeaceBuilders était en charge de la coordination du camp (Dawn), de la préparation des sessions "Education à la paix" (moi), et de la facilitation des contacts en Ilongo (Nenia). Artickles est une start-up de bijoux fantaisie montée par Denise pour financer ses études; au camp elle a animé 3 sessions de création à partir de son matériel de base et de ce qui était disponible dans le camp ("Trouvez des beaux cailloux et revenez!"). Quant à SwitoTwins (littéralement "les jumelles qui gèrent"), c'est une petite boite qui anime des ateliers de digital storytelling pour les enfants. Au camp on avait Glorypearl (une des jumelles, surnom Bambam) et Chi; Bambam animait le côté histoire et éditait les vidéos, et Chi gérait les ateliers d'illustrations et de films. Byron, lui, prenait des photos, conduisait la voiture, et râlait d'être utilisé en deçà de ses compétences.

    Avec les jeunes dont je vous ai parlé ça aurait été vraiment dur de rater le camp, et de fait ça s'est vraiment bien passé! Parce qu'en plus de tout ça, les membres de la communauté se sont donnés à fond pour le camp: on avait une cuisinière, Ate Jo, qui se levait à 3h du matin pour que le petit déj soit prêt à 6h; un homme à tout faire, Uncle Tamad (littéralement Oncle Feignant à cause d'un obscur jeu de mots sur son nom) qui était au turbin toute la journée et qui profitait de ses temps de pause pour écouter assis à côté de la porte, et un groupe de jeunes gaillards qui restaient debout toute la nuit pour faire des rondes de sécurité. 

    J'ai assez vite réalisé que le camp n'allait ressembler à aucun de ceux que j'avais déjà fait. Quelque chose me perturbait et il m'a fallu un jour ou deux pour mettre le doigt dessus. Quelque chose dans la façon dont Dawn et Nenia animaient les ateliers, dans la façon dont les jeunes utilisaient le carnet de camp (l'oeuvre dont j'étais si fière ne semblait pas tout à fait remplir son rôle), dans les sujets de discussions à table entre animateurs (surtout dans les non sujets: on ne parlait en général pas 1) du camp, 2) du programme de la journée, 3) des histoires d'amour des jeunes - pourtant un grand favori de mes camps précédents). 

    Un matin, au réveil, c'est la révélation! Je suis transportée dans le passé à la formation du Defap, au cours sur l'interculturalité. En bonne occidentale, pour qui la parole écrite prime, j'avais préparé un carnet sur lequel les jeunes pourraient prendre des notes et quand j'animais je passais surtout du temps à expliquer et analyser. Alors que Dawn et Nenia creusaient moins mais s'assuraient régulièrement que les jeunes connaissaient la petite chorégraphie des phrases importantes (importance de la parole orale). Les jeunes, de fait, ne prenaient pas de notes; ou alors c'était tout un rituel ("C'est quel mot qu'on doit écrire dans cet espace là?" "- Euh, conflict" "- (en choeur) C, O, N, F, L, I, C, T!") . A partir du matin de la révélation, quand j'ai compris que pour eux il fallait se souvenir pour transmettre, et non pas analyser pour comprendre, le camp est devenu plus fluide. J'étais tellement à fond dans le principe de camp ("J'ai mon BAFA, et mon expérience aux Pios, ça va gérer!") que j'avais oublié que j'étais dans une autre culture...


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  • Et voilà le dernier post sur Campayapaan! Apres ce je vous raconterai comment ca se passe a Ormoc (Leyte) ou je suis depuis jeudi passe.

    La vie au camp donc, en trois tableaux:

    1° La salle de bains

    Lors de ma visite dans les champs de café du Mont Apo, j'avais décrit les toilettes-salle de bain et la façon de les utiliser. Plusieurs m'avaient demandé une photo, et ben vous avez de la chance puisque cette fois j'en ai pris une!

    Campayapaan: la vie au camp

    Par bonheur l'école de Pula a accès à une rivière qui coule en contrebas, et l'eau courante est garantie! Tant mieux parce qu'avec la chaleur qui faisait on carburait à 2 à 3 douches par jour.

    Le seul problème c'était en cas de grosse pluie! Toute la zone autour de la douche devenait un marécage, et mettre le pied dehors était le recouvrir de boue. J'ai vite abandonné l'idée d'avoir les pieds propres en journée, mais il a fallu tester plusieurs techniques pour trouver le moyen de monter dans le lit sans salir tous les sacs de couchage...

    Tiens d'ailleurs, à ce propos:

    2° La chambre/Staff room/Salle de rangement

    On avait pour nous une petite cabane en bambou à l'entrée de l'école. A l'intérieur, le sol est en terre battue et de larges étagères longent le mur. Ah non attendez l'une d'elles est un peu plus large, ah c'est là qu'on dort? C'est une grande surface en bambou, à environ 1m de hauteur, sur toute la longueur du mur. On y dort toutes (sauf Chi qui a pris sa tente et Byron qui dort dehors dans son hamac)

    Campayapaan: la vie au camp


    Avant de partir j'avais demandé ce que je devais prendre comme matériel pour dormir, et on m'avait dit que la moustiquaire suffirait puisqu'on aurait un lit prêt sur place. Je me doutais que nous n'avions pas forcément la même définition d'un "lit" mais j'ai décidé de ne pas emmener mon tapis de sol: si les autres n'en ont pas besoin, je ne veux pas être l'occidentale qui chipote. Sur place, en fin de compte, plusieurs ont apporté leur tapis de sol et moi je dors à même le bambou. Bon finalement c'est pas si pire et on s'y fait vite.

    Bonus: Notre chambre de nuit:

    Campayapaan: la vie au camp



    3° Le Boodle Fight!

    J'en avais entendu parler mais maintenant mes yeux l'ont vu: le boodle fight! Je ne sais pas pourquoi ça s'appelle comme ça, mais mon hypothèse c'est qu'ils ont combiné "food" et "bundle".

    Campayapaan: la vie au camp


    C'est à l'origine la façon dont on mange à l'armée et c'est devenu un repas festif. On a fêté comme ça le dernier jour de camp! La table est recouverte de feuilles de bananiers et la nourriture y est posée directement. Avant le repas tout le monde se groupe autour de la table, et c'est parti! Avec les doigts bien sûr! Une idée pour les prochains repas d'église "sans couverts"?

    J'ai identifié 2 méthodes:
    "Je tape dans le tas et ça m'éclate"
    et "Je tente de garder un minimum d'étiquette et me fais un semblant d'assiette sur le bord de la table"

    Campayapaan: la vie au camp

    Campayapaan: la vie au camp



    Le "boodle" devient "boodle fight" quand quelqu'un défie du regard la personne en face. Si l'autre accepte le défi, les 2 doivent alors manger le plus possible, l'air féroce, et raser la table en se déplaçant dans la même direction. Le premier qui abandonne a perdu!


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  • "Formamations" parce que doubler la deuxième syllabe marque le pluriel en tagalog et qu'on en a vraiment fait tout plein!

    Leyte and Samar

    Leyte et Samar

    Je suis arrivée à Ormoc (Leyte) jeudi 1er mai dans la soirée. Encore un peu sonnée du camp et des préparatifs que j'ai dû faire en vitesse avant de partir, je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Je rejoins sur place une petite équipe de PeaceBuilders qui travaille sur place depuis janvier : Kriz, Sheryl (surnom = Quidz), et l'indispensable Toto et son van (trombinoscope à venir).

                   Savon et Cupcakes

    Kriz est ravie de me voir arriver et s'est un peu laissée emporter: arrivée jeudi soir, j'apprends qu'un groupe de femmes m'attend le lendemain matin pour apprendre à faire du savon. J'arrive à négocier un décalage de quelques heures pour courir la ville à la recherche du matériel de base, et c'est parti, sur les chapeaux de roue! Elle m'a fait inviter le jour suivant pour donner un cours de pâtisserie, et le surlendemain pour un nouveau cours de savonnerie avec un deuxième groupe. Les cours marchent moins bien avec le deuxième. J'ai l'impression de présenter un hobby de upper class à des femmes qui luttent pour survivre. Je sens le décalage dans des questions du style "je peux utiliser de la vieille huile de friture?"*

    Mais le premier groupe (peut-être parce que les femmes étaient plus jeunes? plus coquettes?) a vraiment bien accroché, elles avaient des idées super et je pense qu'elles continueront avec plaisir, autant le savon que la pâtisserie. Pendant les cours elles calculaient combien elles pourraient en demander et se réjouissaient de rapporter ça dans leurs familles.

     

    2 jours de travail :)

     Le résultat des 2 jours de formations :)

     

    Arrive le gros morceau de mon séjour à Leyte: la formation des pasteurs!

    C'était une formation double: "Paix et Réconciliation" et "Réseau de Réponse au Désastre". Il semblerait que les typhons montent en fréquence et en intensité aux Philippines, et que d'autres soient à craindre. J'ai même entendu dire (mais cette info n'est pas encore vérifiée) que Hayan/Yolanda allait devenir la nouvelle norme de typhon. Dans ce contexte, le PCEC (Philippine Council of Evangelical Churches) a voulu équiper les pasteurs à répondre autant dans l'urgence que dans la durée, et a missionné PeaceBuilders pour les former.

    Notre public c'est les pasteurs de Samar et Leyte avec qui travaillent Kriz et Sheryl depuis janvier. Elles les ont rencontrés plusieurs fois, et ils ont déjà eu une semaine de formation ensemble. La première semaine est destinée aux pasteurs de Samar, et la deuxième à ceux de Leyte. La formation est pensée pour être aussi un moment de relaxation pour eux, et grâce au MCC notre généreux sponsor, nous avons eu accès à un hôtel à Ormoc chouette comme tout, avec piscine, au bord de la plage. Les pasteurs sont ravis! C'est la première fois que Pastor Edgardo dort dans un aussi beau lit, et Pastora Virginia a l'impression qu'elle se détend pour la première fois depuis le typhon.

    Le typhon a fait des degats terribles

    Mais bon, on fait pas que buller quand même! (Je vais me faire couper les vivres avec ce genre de photos :) ) Au programme: une première partie résolution de conflit (qu'est-ce qu'un conflit, comment un conflit dégénère vers la violence, apprendre la négociation et la médiation...) et une deuxième partie réponse au désastre (les rôles nécessaires dans une équipe, savoir trouver et transmettre les informations, se préparer à un typhon, porter secours pendant une inondation)

    Reflexions sur la paix

    Les pasteurs s'y retrouvent et sont à fond: après Yolanda, ils ont été en contact avec des ONG, ont distribué de la nourriture ou des kits de réparation d'abri, et ne sont que trop conscients des conflits qui émergent dans ces cas-là.

    Et une fois de plus, j'ai énormément appris! C'était la premiere fois que j'assistais a la formation Paix et Reconciliation de PeaceBuilders (j'avais été formée par Dawn avec le livre de ressources) et j"ai pu mieux comprendre comment ils transmettent leurs idées. Et surtout j'ai découvert tout le coté "réponse au désastre", qui est passionnant!

    Water Rescue

    Exercice de "Water Rescue" en mer 

    * l'huile est un produit de base de savon


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