• Campayapaan: le contenu

    Je vous ai parlé des jeunes mais je peux pas passer à côté du contenu du camp! 

    L'idée c'était de faire "un camp pour la paix" qui soit pertinent dans le contexte des jeunes Blaan. Comme les autres tribus, les Blaan vivent à l'écart des villes, très souvent dans la pauvreté. Ils sont considérés comme inférieurs ou négligeables par les citadins Tagalog et Visaya (qui semblent oublier qu'ils sont eux aussi des tribus). C'est aussi dans les montagnes que sévissent les groupes rebelles, qui recrutent en priorité des jeunes des populations indigènes. En général, ils sont pauvres, avec un faible niveau d'instruction, un avenir pas très rose, et c'est facile de les convaincre que prendre les armes changera ça.

    L'ecole de Pula

    Dans les faits, comme Dawn était déjà en lien avec l'école de Pula (ci-dessus) (un lien qui est resté de ses années étudiantes), on a décidé de travailler avec eux. J'ai appris peu avant le camp que les rebelles avaient quasiment quitté cette région, et les jeunes de l'école sont plus éduqués que la moyenne des Blaan, qui n'ont pas tous la chance d'une école aussi proche - 9km, une paille! Donc plutôt un contexte de post-conflit, mais ça marche aussi.

    On avait donc décidé d'approcher le camp de deux côtés: un côté "valorisation culturelle", dont le sous-titre aurait pu être "Aidez nous à montrer au monde la richesse de la culture Blaan", et un côté "Résolution des conflits 101" (ou "Il y a mieux à faire que rejoindre les rebelles")

    Campayapaan: le contenu

    L'equipe Campayapaan: de gauche a droite Chi, Nenia, Byron, Denise, Dawn, Salome et Bambam

    On a organisé le camp à 3 mains: PeaceBuilders, Artickles et SwitoTwins. PeaceBuilders était en charge de la coordination du camp (Dawn), de la préparation des sessions "Education à la paix" (moi), et de la facilitation des contacts en Ilongo (Nenia). Artickles est une start-up de bijoux fantaisie montée par Denise pour financer ses études; au camp elle a animé 3 sessions de création à partir de son matériel de base et de ce qui était disponible dans le camp ("Trouvez des beaux cailloux et revenez!"). Quant à SwitoTwins (littéralement "les jumelles qui gèrent"), c'est une petite boite qui anime des ateliers de digital storytelling pour les enfants. Au camp on avait Glorypearl (une des jumelles, surnom Bambam) et Chi; Bambam animait le côté histoire et éditait les vidéos, et Chi gérait les ateliers d'illustrations et de films. Byron, lui, prenait des photos, conduisait la voiture, et râlait d'être utilisé en deçà de ses compétences.

    Avec les jeunes dont je vous ai parlé ça aurait été vraiment dur de rater le camp, et de fait ça s'est vraiment bien passé! Parce qu'en plus de tout ça, les membres de la communauté se sont donnés à fond pour le camp: on avait une cuisinière, Ate Jo, qui se levait à 3h du matin pour que le petit déj soit prêt à 6h; un homme à tout faire, Uncle Tamad (littéralement Oncle Feignant à cause d'un obscur jeu de mots sur son nom) qui était au turbin toute la journée et qui profitait de ses temps de pause pour écouter assis à côté de la porte, et un groupe de jeunes gaillards qui restaient debout toute la nuit pour faire des rondes de sécurité. 

    J'ai assez vite réalisé que le camp n'allait ressembler à aucun de ceux que j'avais déjà fait. Quelque chose me perturbait et il m'a fallu un jour ou deux pour mettre le doigt dessus. Quelque chose dans la façon dont Dawn et Nenia animaient les ateliers, dans la façon dont les jeunes utilisaient le carnet de camp (l'oeuvre dont j'étais si fière ne semblait pas tout à fait remplir son rôle), dans les sujets de discussions à table entre animateurs (surtout dans les non sujets: on ne parlait en général pas 1) du camp, 2) du programme de la journée, 3) des histoires d'amour des jeunes - pourtant un grand favori de mes camps précédents). 

    Un matin, au réveil, c'est la révélation! Je suis transportée dans le passé à la formation du Defap, au cours sur l'interculturalité. En bonne occidentale, pour qui la parole écrite prime, j'avais préparé un carnet sur lequel les jeunes pourraient prendre des notes et quand j'animais je passais surtout du temps à expliquer et analyser. Alors que Dawn et Nenia creusaient moins mais s'assuraient régulièrement que les jeunes connaissaient la petite chorégraphie des phrases importantes (importance de la parole orale). Les jeunes, de fait, ne prenaient pas de notes; ou alors c'était tout un rituel ("C'est quel mot qu'on doit écrire dans cet espace là?" "- Euh, conflict" "- (en choeur) C, O, N, F, L, I, C, T!") . A partir du matin de la révélation, quand j'ai compris que pour eux il fallait se souvenir pour transmettre, et non pas analyser pour comprendre, le camp est devenu plus fluide. J'étais tellement à fond dans le principe de camp ("J'ai mon BAFA, et mon expérience aux Pios, ça va gérer!") que j'avais oublié que j'étais dans une autre culture...


  • Commentaires

    1
    Elisabeth Défap
    Mardi 6 Mai 2014 à 12:24

    J'adore quand tu parles du "passé" et de la "formation Défap"... Rhalala, ça fait du bien de se dire que nos "outils" et clés de compréhension servent aux volontaires une fois sur le terrain. Merci Salomé et bon retour de ton camp !

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    2
    Mercredi 28 Mai 2014 à 09:15

    @Elisabeth: Oui c'est clair! Je découvre toujours à nouveau des situations pour lesquelles je suis vraiment contente d'avoir des clés et des grilles de lecture! Hier j'ai assisté à une discussion passionnante entre un chef de tribu et une directrice d'université qui l'encourageait à rédiger leur histoire et leurs traditions pour les garder en vie. Et sa réponse c'était en gros "Le jour où il n'y aura plus personne pour les dire nos traditions seront mortes de toutes façons, et ce n'est pas un livre qui changera quoi que ce soit" Ca aurait plu à Clair Michalon!

    3
    Elisabeth Défap
    Mercredi 28 Mai 2014 à 11:38

    Effectivement, et si tu le permets, je vais même lui transmettre ton message ! Histoire qu'il ait (une fois de plus) confirmation "depuis le terrain" que ses analyses sont pertinentes... yes  Allez, des bises à toi !

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